A ceux qui pensent que l'avortement est banalisé
Lorsque l’on se retrouve confrontée au choix de poursuivre ou non une grossesse non désirée, un véritable parcours du combattant commence.
Il est d’abord intime et personnel. La plupart des grossesses non désirées font suite à un échec de contraception (oubli de pilule, préservatif craqué… et parmi eux, pilule non efficace). Il est rare de constater qu’une femme ne s’est volontairement pas protégée d’une grossesse éventuelle. Cela arrive peut être, chez des jeunes filles non informées, qui n’ont pas accès à la contraception ou chez des personnes irresponsables, souvent limitées intellectuellement. Et alors il faut agir, continuer la prévention en ce sens.
Ce cas est un cas « à part », presque hors débat, qu’on ne peut traiter de la même façon. Il ne concerne pas celles qui ont pris en charge leur contraception, qui se sent responsabilisée et qui ont échoué à un moment, parce que la vie est faite de plein de petites erreurs quotidiennes, parfois aux lourdes conséquences. C’est un argument bien facile, utilisé par les anti-IVG ou tout autre intellectuel de peu de moyens, pour discréditer la nécessité de l’IVG dans bien des cas.
En effet, une jeune femme se retrouvera confrontée à un douloureux choix. Une grossesse non désirée, c’est avant tout un enfant non désiré. C’est aussi une mutation de sa vie de femme qu’elle n’est pas prête à assumer, pour des raisons économiques et sociales et pour des raisons secrètes, qui lui appartiennent complètement.
Ces femmes, cette jeune femme, c’est moi. C’est plein d’autres. Mais ce n’est pas une entité homogène, sur laquelle d’autres que moi peuvent se positionner. C’est mon cas… particulier. Ma vie. Mon choix. Et pour le faire, je dois chercher mes raisons secrètes, une démarche bien loin d’être « banale » puisque la plus perturbante, la plus profonde, de toute mon existence.
Le choix de poursuivre ou non une grossesse, transporte avec lui une multitude de questions éprouvantes. Beaucoup de nous ont voulu être mère un jour. Ne serait-ce que lorsque nous étions petites filles et que nous jouions à la maman.
Tout au long de notre vie de femme, on nous dit souvent que la maternité est un aboutissement de la féminité. Donner la vie est un attribut de la femme, comme sa paire de seins et de hanches. Comment renier tout cela en soi, sans s’interroger pleinement, violemment, profondément ??
Être enceinte sans l’avoir voulu, c’est détenir au creux de soi, la clef de son destin et devoir décider de ce que l’on en fait. C’est comprendre ce que l’on est, décider ce que l’on devient. Combien de fois dans la vie, il arrive que l’on saisisse cette question si clairement, combien de fois il arrive que la réponse soit si palpable, combien de fois il arrive… que l’on sache ?
Cette fois-là, c’est sûr. C’est « sûre » qu’il faut savoir.
Et l’on ne peut savoir et choisir qu’en torturant son esprit de toutes les possibilités existantes. Tous ces possibles sont accessibles. Il faut alors décider, ce qui est le mieux pour soi.
Il faut faire le tri entre les possibles, il faut préférer l’ « impréférable ».
Au milieu de ces turpitudes, la loi me laisse le choix.
Avorter est un choix. Un vrai. C’est renoncer à l’une de ses possibilités. Cela ne se fait pas sans doute, sans douleur profonde, sans perte totale de ce que l’on est. Parce que précisément, on ne sait plus bien ce que l’on est. On est transformée : dans notre corps quand c’est la première fois, et dans notre tête, aussi, même si on est déjà maman d’autres petits. On se confronte à ce que l’on aurait voulu, à ce qu’on peut, à ce qu’on veut en définitive. Enfin, il faut savoir. Faire un choix, ultime, qui transformera tout, pour toujours.
Ce parcours est ensuite entaché de réalités économiques et sociétales.
Quand je sais que je ne peux pas être en charge de cet enfant, je dois « démarcher ».
Je fais partie de ces jeunes diplômées à qui on ne propose que des stages mal rémunérés. Je vis en dessous du seuil de pauvreté (<800€). Incroyable, non ? car ma culture et mes diplômes sont des signes extérieurs de richesse. Comment démarrer correctement dans la vie quand je n’ai ni travail sûr, que je n’ai pas d’argent sur mon compte épargne et que mon congés maternité fera qu’on ne renouvellera pas mon CDD ?
Comment mettre un enfant dans ce monde, prendre cette responsabilité, quand je ne sais même pas ce qu’il adviendra de moi ? En calculant. En mettant dans une balance impossible l’amour non quantifiable, non mesurable, avec celui de ma triste réalité du terrain (pas d’argent, le frigo jamais plein, l’appartement trop petit, et un travail introuvable). Il me faut comprendre que je ne suis pas dans un conte de fée et que l’amour que je peux donner ne transforme pas tout.
Croyez-moi, de moi je m’en fous. Sinon, je me serais fait le plaisir d’avoir un enfant…
Lorsque je veux avorter, je me fracasse sur les regards désapprobateurs du médecin que j’ai sollicité. La bonne morale veut que la mère soit sacralisée. Mais la réalité est autre. Tant de mères sont mauvaises. Ne voyez-vous pas tous ces enfants perdus ? Quand je sais, moi, que je ne peux pas. Quand, en bonne intelligence, je décide de me renier moi, de souffrir, de porter une plaie profonde tous les jours de ma vie, en décidant de ne pas faire porter le poids de mes erreurs sur un enfant qui n’aura rien demandé, toute sa vie future, alors qu’il n’est pas responsable de moi, qu’il ne doit pas l’être, comment me le reprocher ? Dans quelles mesures vos mots, les souffrances que vous me faites vivre pourront changer mon quotidien ?
Le sacrifice n’est-il pas assez grand ?
Comment pouvez-vous croire que tout ça n’a pas de sens et que je suis une écervelée ?
Êtes-vous allé voir au fond de mes tripes ce que je ressens ? Avez-vous essuyé mes larmes ? Savez-vous que je pleure sans jamais me calmer, que je hurle comme un animal qui meurt ? Savez-vous que mon cœur ne bat plus ou parfois si vite, que je voudrais me l’arracher, comme tout mon corps entier ?
Si par votre discours vous pouviez changer ma vie, je vous écouterai. Mais les mots que vous me dites, sachez que mille fois, depuis que je sais que je suis enceinte, je me les suis dits. Je ne vous attendez pas pour ça. Car justement, ce qui m’arrive n’est pas banal pour moi. Depuis que je sais, je suis en boucle pour trouver la solution à tout.
Alors quand je fais MON choix, je m’engage dans une démarche d’avortement. Je sollicite des médecins pensant qu’eux pourront m’aider, qu’ils pourront me sauver d’une vie de souffrance et de pauvreté. Hôpitaux surchargés. Dépassements de délais. Je me fracasse sur un regard désapprobateur et ma souffrance est décuplée.
Heureusement pour moi, car ce n’est pas le cas pour toutes, je trouve une équipe médicale compétente, humaine, qui me protège de tout ce mal autour de moi, et je ne sais pas comment la remercier.
Mon avortement, je le porte en moi. Je le porterai toujours. Ma vie sera désormais différente. Rien de ce que j’ai vécu n’est banal. Ce qu’il m’en reste aujourd’hui, ne l’est pas.
Le jour de l’IVG n’était pas un jour ordinaire.
Cet acte était inimaginable, pour moi, avant. La force que j’ai eue à surmonter cet évènement est inouïe. Ce parcours a été terrible.
En France, l’accès à l’avortement dans les délais est extrêmement compliqué. La société ne banalise pas cet acte. Le corps médical est divisé et les médecins qui le pratiquent prennent en charge leurs patientes de façon extrêmement précise et personnalisée.
La femme qui avorte réfléchit longuement son acte, en souffre et ne l’oublie pas. La femme qui avorte ne banalise pas l’avortement.
Alors, NON, l’avortement n’est pas banalisé. Pour penser cela, il ne faudrait rien y connaître.